
MAMADOU BADIO CAMARA, LE GARDIEN DE LA BALANCE : L’ULTIME VERDICT D’UN JUSTE

Disparu le jeudi 10 avril 2025, Mamadou Badio Camara laisse derrière lui l’image d’un magistrat au parcours impressionnant, mêlant zones d’ombre et éclats de bravoure. Président du Conseil constitutionnel lors de la crise électorale de 2024, il a incarné, dans ses dernières années, la force tranquille de l’État de droit sénégalais.
Un fils de Dakar au destin judiciaire
Né en 1952 à Dakar, Mamadou Badio Camara appartient à cette génération de hauts fonctionnaires formés dans l’idéal du service public. Diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) en 1977, il entame une carrière judiciaire classique mais brillante, gravissant méthodiquement les échelons.
Il débute comme substitut du procureur à Dakar, avant de prendre la tête de plusieurs parquets régionaux, notamment à Ziguinchor et Kaolack, où il se forge une réputation de juriste rigoureux, discret, mais efficace. Magistrat respecté, il revient ensuite à Dakar, cette fois à la Cour suprême, où il gravira tous les échelons jusqu’à devenir premier président, un poste qu’il occupera avec autorité et constance.

Un parcours au sommet, entre prestige et controverses
La nomination de Mamadou Badio Camara au Conseil constitutionnel en 2021 marque une nouvelle étape dans sa carrière. Il accède à la présidence de l’institution le 1er septembre 2022, par décret présidentiel de Macky Sall, succédant à Pape Oumar Sakho, dans un contexte de fortes tensions politiques.

Ce choix, s’il couronne une carrière émérite, suscite des critiques. Certains observateurs rappellent alors ses prises de position passées à la Cour suprême, notamment dans les affaires Karim Wade et Khalifa Sall, où ses décisions furent perçues comme alignées sur les intérêts du pouvoir en place. En 2016, son refus de déclarer son patrimoine, comme l’exigeait pourtant la loi sénégalaise sur l’enrichissement illicite, jette aussi une ombre sur son image. Pour une frange de la société civile, il incarne alors une justice au service de l’exécutif.
Mais malgré ces critiques, son profil juridique reste incontesté. Taciturne en public, rigoureux en interne, il inspire le respect chez ses pairs, même parmi ses détracteurs. Et c’est précisément dans la tourmente que son image va se transformer.
L’épreuve de vérité : février 2024
Le tournant de sa carrière – et peut-être de l’histoire institutionnelle récente du Sénégal – survient en février 2024. Alors que le président Macky Sall annonce le report de l’élection présidentielle, prévue initialement le 25 février, au 15 décembre, sous prétexte d’irrégularités électorales, la nation bascule dans la crise. Le Parlement, dominé par la majorité présidentielle, entérine le report à travers une loi controversée.
Face à cette tentative de glissement de calendrier électoral, la réponse du Conseil constitutionnel, dirigé par Mamadou Badio Camara, est immédiate et historique : le 15 février 2024, les sept sages invalident à la fois la loi votée par l’Assemblée et le décret présidentiel. La décision est claire : le mandat présidentiel prend fin le 2 avril, et l’élection doit impérativement se tenir avant cette date.




Par cette décision, le Conseil constitutionnel s’impose en rempart ultime de l’ordre constitutionnel. La communauté nationale et internationale salue alors un acte de bravoure juridique, qui évite au Sénégal une dérive autoritaire. Camara, jusque-là critiqué pour sa supposée proximité avec le pouvoir, redore son image en apparaissant comme le garant impartial de la démocratie.
Le scrutin est finalement organisé le 24 mars 2024, dans les délais constitutionnels. Il se solde par la victoire au premier tour de Bassirou Diomaye Faye, porté par une nouvelle génération politique. Lors de la cérémonie d’investiture, Mamadou Badio Camara prononce un discours sobre mais mémorable :
« Le secret est dans le bulletin de vote, dans la conviction des citoyens que leur voix peut changer leur destin, sous le contrôle d’une justice impartiale. »

Une phrase qui résonne encore comme le testament républicain de celui qui aura été, en 2024, le garant ultime de l’équilibre démocratique sénégalais.
La fin d’un parcours, le début d’un héritage
Décédé ce jeudi 10 avril 2025, Mamadou Badio Camara laisse une empreinte contrastée, mais profondément marquante. Son acte de résistance juridique en 2024 lui a permis de quitter la scène en héros républicain.
Son passage au Conseil constitutionnel aura démontré que, même dans un contexte politisé, la justice peut retrouver sa voix. En cela, Mamadou Badio Camara lègue un précédent et une boussole : celle de la fidélité à la Constitution, même contre les intérêts du pouvoir en place.