MIGRATION CIRCULAIRE ENTRE LE SÉNÉGAL ET L’ESPAGNE | « LES QUOTAS RESTENT TROP LIMITÉS POUR CONSTITUER UNE ALTERNATIVE RÉALISTE FACE AUX MILLIERS DE DÉPARTS IRRÉGULIERS » AYOBA FAYE
Ayoba Faye, journaliste spécialiste des questions migratoires, était l’invité de l’émission Lantinoor sur la RTS, où il a abordé les enjeux de la migration circulaire et irrégulière entre le Sénégal et l’Espagne. Il a mis en avant la nécessité d’une réflexion nationale approfondie sur cette question cruciale.
Selon Ayoba Faye, la migration irrégulière est aujourd’hui l’un des plus grands drames qui frappent le Sénégal. « Au Sénégal, je ne vois pas un sujet qui mérite des assises nationales plus que la migration irrégulière. Cela a tué beaucoup de personnes, je ne vois pas une maladie qui tue plus que la migration irrégulière », a-t-il déclaré.
Il a rappelé les chiffres alarmants des départs de jeunes par voie maritime vers les îles Canaries. En juin 2023, à la suite de la répression des manifestations, un nombre record d’embarcations a quitté les côtes sénégalaises, notamment à partir de Mbour et Bargny. Une pirogue transportant 350 personnes a atteint l’Espagne, battant ainsi un record. Entre juin et décembre 2023, Ayoba Faye affirme avoir personnellement documenté la mort d’au moins 588 personnes en mer, un chiffre bien en deçà de la réalité, selon lui.
D’après le journaliste, plusieurs facteurs expliquent ces départs massifs. Le premier est la crise du secteur de la pêche, qui a été gravement affectée par les accords signés par l’ancien gouvernement permettant aux navires étrangers d’exploiter les ressources halieutiques locales. « Tous les points de départ sont des villages de pêcheurs, car l’activité n’est plus rentable. Sur la pirogue de Fayeboye, 80 % des passagers étaient des capitaines de pirogue », a-t-il expliqué.
Il salue les efforts du nouveau gouvernement qui a annulé certains accords de pêche, mais plaide pour un contrôle plus strict des activités des bateaux chinois qui, sous pavillon sénégalais, continuent d’exploiter les ressources maritimes de manière excessive.
D’autres facteurs, comme la pression sociale et la désinformation sur les réseaux sociaux, participent également à ce phénomène. « On fait croire aux jeunes que l’Europe est un eldorado, mais la réalité est toute autre », a-t-il déploré.
Ayoba Faye a également attiré l’attention sur le sort des mineurs sénégalais présents dans les îles Canaries. Selon lui, environ 6 000 enfants ont été envoyés par leurs propres parents en raison d’une disposition de la loi espagnole qui interdit le rapatriement des mineurs non accompagnés. « Ils sont pris en charge et scolarisés jusqu’à leurs 18 ans, où ils obtiennent un titre de séjour. Cependant, si ces jeunes n’intègrent pas le système, ils risquent de sombrer dans la délinquance », a-t-il averti.
Il souligne également que les quotas de migration circulaire entre le Sénégal et l’Espagne restent trop limités pour constituer une alternative réaliste face aux milliers de départs irréguliers.
Le journaliste estime que la solution passe par un changement de discours et des mesures concrètes pour offrir des alternatives viables aux jeunes. « Il est possible de retenir les jeunes ici en leur tenant un discours optimiste. Il faut leur montrer que l’on peut réussir au Sénégal, sans avoir à risquer sa vie en mer », a-t-il prôné.